By Didier Méreuze
25.07.2009 / La croix
«Allah Akbar… Allah Akbar… Allah Akbar… Allah Akbar… » Lancé du haut des murs du Cloître des carmes, l’appel, soudain, résonne, au cœur de la nuit d’Avignon.La Cité des papes serait-elle devenue musulmane, le cloître une mosquée, son clocher un minaret ? Que nenni ! Les muezzins égyptiens responsables de cet appel à la prière sont les invités du festival, acteurs de leur propre vie dans Radio Muezzin.
Les muezzins se racontent avec simplicitéIls sont quatre : Hussein Gouda Hussein, le professeur de Coran à demi aveugle, supporteur de l’équipe nationale de football «par patriotisme» ; Abdelmoty Abdelsamia Ali, paysan engagé dans l’armée jusqu’à «notre victoire de 1973», puis ouvrier immigré, électricien sur un chantier en Arabie saoudite ; Mansour Abdelsalam Mansour, paysan pauvre devenu muezzin au «service du Ministère» ; Mohamed Ali Mahmoud, fils de grand muezzin et lui-même muezzin vedette au corps d’athlète haltérophile !
Placé au centre du plateau recouvert de tapis, ils se racontent à tour de rôle avec simplicité, témoignant de leur parcours, de leur charge et de leur travail, de leur existence modeste ou luxueuse.
Abdelsamia Ali, longtemps condamné aux foyers de travailleurs ; Mohamed Ali Mahmoud logé dans des palaces, invité des réunions officielles à l’étranger. Sont encore évoqués, pêle-mêle, le prix d’une tenue d’apparat (six mois de salaire), le port de la barbe et la zebiba (le cal noirâtre au front d’Abdelmoty, provoqué par le choc répété de la tête sur le tapis à l’heure de la prière), l’enseignement du Coran, la place de la femme, cachée derrière un paravent…
Du théâtre "documentaire"
Pendant ce temps, des vidéos projetées sur quatre écrans au fond du plateau illustrent leur quotidien : domicile, mosquée, famille, photographies de leur jeunesse, Le Caire d’aujourd’hui…
Le spectacle est signé Stefan Kaegi, Suisse quadragénaire au passé de journaliste découvert à Avignon il y a trois ans et grand ordonnateur d’un théâtre traitant de la réalité avec le concours d’amateurs racontant leur vécu (Mnemopark, Cargo Sofia, Airport Kids).
Un théâtre « documentaire», comme il l’appelle, mais surtout d’une humanité riche, bouleversante dans sa simplicité apparente. Elle est d’autant plus forte, ici, que nos quatre muezzins se retrouvent, aujourd’hui, acteurs et témoins d’un monde finissant : celui d’une tradition, condamnée par le modernisme et la technologie.Une douce mélopée
Afin d’en terminer avec la cacophonie provoquée au Caire par les milliers d’appels à la prière se déversant chaque jour (et aussi, murmure-t-on, de mieux contrôler les mosquées), le ministère des affaires religieuses a décidé de sélectionner trente muezzins qui, seuls, auront le droit de lancer à heures fixes, ces appels dans la capitale, appels qui seront diffusés par radio dans les autres mosquées.
Mohamed Ali Mahmoud figure parmi les heureux élus. On en comprend la raison, à l’entendre se livrer à une envoûtante lecture de Coran, sa voix s’élève en une douce mélopée, délicatement chantante.
À la fin, les quatre muezzins saluent sans revenir malgré les rappels nombreux du public. « Pour les muezzins, il n’est pas convenable de s’incliner plusieurs fois, comme au théâtre. »