By Caroline Montpetit
27.05.2019 / www.ledevoir.com
Daniel est le petit-fils de Faustino Pérez, un proche de Fidel Castro devenu ministre de la Désappropriation dans le gouvernement révolutionnaire castriste. Aujourd’hui, Daniel est mathématicien et travaille en ligne pour un programme d’éducation canadien. C’est l’un des exemples qui sont mis en scène dans la pièce Granma. Les trombones de La Havane, présentée à Montréal dans le cadre du Festival TransAmériques, et à Québec dans le cadre du Carrefour international de théâtre.
Stefan Kaegi fait partie du collectif berlinois Rimini Protokoll, qui était aussi à l’origine du spectacle100 % Montréal, également présenté au FTA. C’est lui qui signe la conception et la mise en scène de Granma.Les trombones de La Havane. Au départ, l’idée était de faire une enquête sur la
génération de Cubains qui ont fait la révolution.
Kaegi travaillait alors avec un groupe de jeunes metteurs en scène du Laboratorio Escénico Experimental de La Havane. « À Cuba, le théâtre est un art qui a plus de difficulté à s’exprimer que les beaux-arts, la musique ou le cinéma, par exemple », a constaté Stefan Kaegi. Grâce au Laboratorio, Stefan Kaegi est entré en contact avec des personnes plus âgées, qui avaient participé à la révolution de 1959. « On se demandait comment cette euphorie s’était transportée à l’époque d’aujourd’hui », dit-il.
« Après beaucoup d’entretiens, je me suis rendu compte que les petits- enfants raconteraient mieux », ajoute-t-il. Cette génération, dit-il, est plus critique de la révolution que ses aînés. « Les aînés ne sont pas autant ouverts à la réflexion. Pas tant par autocensure que par un regard un peu trop nostalgique. »
Les jeunes, quant à eux, vivent avec les conséquences de cette révolution. Ceux qui seront sur scène à Montréal ne sont pas des comédiens. Ils parleront de leur propre réalité.
« Ce grand écart entre les générations m’intéressait », dit-il. Kaegi voulait aussi présenter au public des cas diversifiés. Alors que Daniel demeure toujours « dans un quartier de la haute société, des apparatchiks », Milagro, historienne, vit dans un appartement où on s’entasse à six ou sept dans un deux-pièces ». Daniel est d’ailleurs aussi « un peu cynique » envers le gouvernement, puisque son grand-père a finalement été rétrogradé sous Fidel Castro.
« Il y a des classes sociales, mais elles n’ont pas la même forme que de l’autre côté, à Miami », dit Kaegi. Les relations des jeunes avec l’idéologie de la révolution varient donc selon la situation de celui qui en parle. L’historienne Milagro est tout de même reconnaissante de ne pas avoir à payer pour se loger et d’avoir eu accès à une bonne formation, et elle tente de reconstruire l’histoire de son pays. Sa grand-mère était une membre active du parti communiste et un agent local d’espionnage. Un autre protagoniste, Christian, replonge dans l’histoire de son grand-père, qui s’est battu toute sa vie en Angola, pour une cause qu’il considère aujourd’hui comme absurde.
Ces trois jeunes ont été initiés au trombone par Diana, dont le grand-père jouait dans l’Orquesta maravilla de Florida. « Elle a enseigné aux autres le trombone durant une année », poursuit Stefan Kaegi.
Cette méthode autonome d’enseignement s’inspire de celle des microbrigades. « C’est un système qui a été mis en place pour combattre la pénurie de logements. [Des gens] ont construit leurs maisons sous la supervision d’un artisan ou d’un maître », rappelle le metteur en scène, ajoutant que les Cubains sont depuis passés maîtres dans l’économie de partage.
« C’est un ouvrage documentaire avec leur narration. On reconstruit l’histoire cubaine d’un point de vue très subjectif. On se demande où nous a emmenés cette révolution », explique Kaegi.
Le spectacle a déjà été présenté À Berlin, à Bologne et à Lausanne. Il sera aussi présenté à Avignon. Mais aucune représentation n’est prévue à Cuba pour l’instant. « Ils n’ont pas une grande tradition de théâtre documentaire, dit Stefan Kaegi.