Hors-pistes à Bruxelles

Théâtre. Créations indiennes et japonaises de qualité au Kunstenfestivaldesarts.

By MAÏA BOUTEILLET

27.05.2008 / Libération

Prendre un thé à Calcutta, un americano à Tokyo et, suivre la lente agonie d’un cafard à Buenos Aires, en une seule journée ? A Bruxelles, c’est possible. A condition de se prêter au formidable jeu de pistes initié une nouvelle fois par l’équipe du Kunstenfestivaldesarts dans tous les quartiers de la ville (Libération du 22 avril).
«Souptic». C’est là que, après Berlin, le facétieux trio de Rimini Protokoll invite les spectateurs à converser avec les opérateurs de Call cutta in a box. Ou plutôt le spectateur, puisque l’expérience se vit en solo. A l’heure dite, on pénètre dans un bureau dont le mobilier faussement cossu tranche avec l’aspect gris soviet du lieu. Un canapé, un nécessaire à thé sur une table basse. On s’installe, on attend. Le téléphone posé sur le bureau sonne. C’est parti pour quarante minutes de conversation en anglais avec un individu à l’accent du bout du monde. «Souptic Chakraborty from Calcutta». Un jeune employé d’un call center en Inde, ces boîtes où des centaines d’opérateurs sous pression assurent le service après-vente d’une grosse firme ou enregistrent des commandes de pizzas. Cette fois, l’opérateur parle en son nom et n’a rien n’a d’autre à proposer qu’une simple relation téléphonique où l’imaginaire et le spectateur jouent un rôle important. Le déplacement de ce contexte socio-économique, où d’ordinaire prévaut l’anonymat, vers l’espace intime d’une conversation amicale met d’autant plus en évidence l’inhumanité de ces circuits mondialisés.
Ce dont traite le Japonais Toshiki Okada, 35 ans, dans le très beau Freetime, n’est pas sans rapport. Cette histoire de jeune fille qui tous les jours s’assoit à la même place, dans le même café, pour prendre trente minutes rien qu’à elle, qu’elle occupe en traçant des cercles au stylo à bille dans un cahier d’écolier, avant d’entamer sa journée de boulot. A mesure qu’avance le spectacle, on perçoit cet acte gratuit comme un geste de résistance buté dans un monde hyperproductiviste. L’ultime espace de liberté individuelle.
La question du temps est également à l’œuvre dans Finales, texte et mise en scène de l’Argentine Beatriz Catani qui a créé le spectacle en octobre 2007 dans sa ville natale de La Plata, où elle expérimente un théâtre sans effet, loin du foisonnement de Buenos Aires. Dans le petit espace du Théâtre L’L, où peu de monde peut prendre place, la violence est d’autant plus frontale que les acteurs pratiquent une sorte de non-jeu qui nous les rend proches. Finales tisse un entrelacs de fragments qui fait en partie écho à la Passion selon G.H. de Clarisse Lispector.
Insomnie. Le temps que dure l’agonie d’une blatte, exemple même de «la résistance passive», le temps d’une nuit d’insomnie, trois femmes et un homme se racontent des histoires en variant les fins. Ils ont beau vouloir parler du bonheur, de la famille, de la maternité, leurs histoires tournent mal. Pris chacun dans un passé douloureux, jamais nommé mais qu’on devine lié à l’Argentine, ils échouent à supporter leur existence et à imaginer un avenir même lorsque, comme Magdalena, ils décident de ne plus parler qu’au futur.
Cette vision d’une femme qui gémit, souffre et se cogne contre les murs pourrait agacer si l’humour, féroce, ne l’emportait à chaque scène. Prouvant qu’au-delà du désespoir et du chaos, l’énergie demeure.


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