By MARIE BAUDET
31.05.2019 / www.lalibre.de
Alors que Rimini Protokoll fait jouer, à Bruxelles, un robot à visage humain (Uncanny Valley au Kunstenfestivaldesarts (http://www.kfda.be/fr/programme/uncanny-valley) jusqu'au 1er juillet), le même collectif berlinois présenteGranma - Trombones de La Havane au FTA de Montréal, un de ses coproducteurs parmi lesquels compte aussi le Festival d'Avignon. La nouvelle pièce de Stefan Kaegi sera d'ailleurs jouée au cloître des Carmes du 18 au 23 juillet.
"Je suis fasciné par le mélange du générationnel et de l'intergénérationnel qui permet en même temps la nostalgie et les frictions", avance le metteur en scène qui, avec la complicité des dramaturges Aljoscha Begrich et Yohayna Hernández, est parti à la recherche des petits-enfants de ceux qui jadis prirent part active à la lutte menée par Fidel Castro contre la dictature.
Mise en perspective
Quatre de ces descendants de révolutionnaires sont ainsi devenus les acteurs du spectacle, la voix du rapport subjectif à l'Histoire dont le collectif fait la matière de son théâtre documentaire. La transmission, au coeur du projet, lui confère aussi un relief singulier, mettant en perspective l'héritage du XXe siècle et les aspirations des jeunes adultes d'aujourd'hui.
Une musicienne et petite-fille de musicien (Diana Osumy Sainz) a ainsi initié au trombone un petit-fils d'homme politique (Daniel Cruces-Pérez), un jeune homme qui voulait devenir militaire comme son grand-père (Christian Paneque Moreda) et une jeune historienne (Milagro Alvarez Leliebre) dont la grand-mère était couturière.
C'est d'ailleurs une machine à coudre qui, sur le plateau, fait défiler la ligne du temps. Hormis une tribune - rappel des discours qui jalonnent l'histoire cubaine -, la scénographie s'appuie sur des images et des écrans. Photos, vidéos, archives, texte. Sur la lumière aussi, à la fois enveloppante et structurante. Et sur ces fameux trombones aux silhouettes si graphiques, symboliques à la fois de la place cruciale de la musique - non seulement festive mais patriotique, politique - à Cuba, et du dépassement de soi.
La dramaturgie quant à elle évite la linéarité temporelle pure et simple pour tirer des fils pas toujours lisses, tenter des boucles, oser des noeuds.
Granma (grand-mère) était le nom du bateau qui emmena Castro, Guevara et leurs camarades révolutionnaires du Mexique à Cuba en 1956, puis intitula le journal quotidien du régime communiste, paraissant sur l'île depuis 1965. Si, par son titre, le spectacle fait référence à ces pans de l'histoire, il n'omet pas pour autant le présent et l'avenir des jeunes Cubains, leurs convictions et leurs doutes, leurs désirs et leurs désillusions, les failles qui se font jour dans la narration tant historique que personnelle.
En titillant le public - québécois en l'occurrence, et assurément européen le moment venu -, la troupe introduit des hiatus bienvenus dans une trame qui, malgré les aspérités du contenu, frise parfois la monotonie dans la forme.
Reste un questionnement piquant de l'utopie socialiste et de son devenir, des lendemains de la révolution, des torsions de l'histoire et des références socio- économiques dans un contexte plus mondialisé que jamais.
Fidèle à ses lignes de conduite, Rimini Protokoll va au-devant du réel avec une inventivité glorieuse mais humble, veillant à l'intelligibilité du langage scénique, au service d'un propos dont il assume la complexité voire les ambivalences.