Stefan Kaegi saisit l'appel du muezzin et fouille dans la beauté du réel

Von Fabienne Darge

24.07.2009 / Le Monde

Le soir du 22 juillet, sur le coup de 22 heures, la mélopée obsédante de la prière coranique a enveloppé l'un des lieux les plus emblématiques de la Cité des papes : le Cloître des carmes. Le public en est resté assez médusé. Le coup était signé Stefan Kaegi, jeune metteur en scène suisse qui, en trois ans et trois créations, est devenu un des chouchous d'Avignon. Ses spectacles se jouent à guichets fermés. Il faut dire qu'il a inventé un nouveau théâtre documentaire et ludique, qui travaille la pâte de notre monde mondialisé de manière singulière, précise et ironique.

Un jour, Kaegi a entendu dire que l'appel à la prière, au Caire, allait être centralisé par une radio qui diffuserait un seul appel de muezzin dans toutes les mosquées de la ville, là où jusqu'à présent chacune avait "son" muezzin, interprétant l'invitation à la prière avec sa voix et sa singularité.

C'était une histoire pour lui : elle met en jeu le choc entre tradition et modernité, la place de l'humain dans un monde où la standardisation devient la règle.

Il est parti au Caire, avec son gros sac de voyageur, et, au bout de quelques semaines, il a créé, là-bas, ce nouveau spectacle qui, aujourd'hui, installe cinq muezzins venus du Caire dans un cloître d'Avignon. Les voilà donc, ces cinq hommes dont un seul est en tenue traditionnelle, dans l'espace des Carmes, où Kaegi a aménagé un dispositif simple, mais très évocateur. Au sol, un revêtement reproduisant le plancher recouvert de tapis de prière. Quelques sièges en plastique. Mais le détail qui tue, c'est le clocher attenant au cloître, qui ressemble furieusement à un minaret.

Kaegi les montre de manière très désacralisée, ces hommes qui parlent de leur travail - c'en est un - dans le quotidien des jours. Un quotidien que l'on aperçoit sous forme d'images fixes - photos de famille - ou animées - les rues de la capitale égyptienne - sur les quatre écrans installés sous les arcades du cloître.

Les cinq hommes n'ont pas le même statut social : certains travaillent dans des mosquées de quartiers populaires. L'un est le muezzin de la mosquée la plus chic du Caire. Le cinquième est celui qui met en place le système d'appel centralisé promu par le ministère de la religion.

Comme toujours dans les spectacles de l'artiste suisse, on apprend pas mal de choses. Mais c'est la matière humaine qui est précieuse ici, dans un contexte où, en Occident, l'islam, de plus en plus, suscite peurs et fantasmes. Kaegi ne gomme pas ce que la foi de ces hommes peut avoir d'obscurantiste. Mais le metteur en scène, qui pense que le théâtre peut "recontextualiser la réalité", remet cette réalité dans un ensemble : celui d'un pays pauvre, où la lutte pour la survie occupe tellement de place qu'il en reste peu pour s'élever vers autre chose. La religion rafle la mise.

La réussite du spectacle - même s'il est, dans sa forme, moins ludique, plus traditionnel que les précédents - tient aussi à la capacité de Stefan Kaegi de voir la beauté que recèle le réel qu'il travaille. Car c'est magnifique, le muezzin. On peut le voir comme une forme de théâtre où tout est question de voix, de phrasé, d'interprétation. A Avignon, on a encore la chance de l'entendre en direct, le temps de quelques soirs, le grain de la voix montant dans la nuit chaude. Sacré Kaegi.

Radio Muezzin par Stefan Kaegi. Cloître des Carmes, à 22 heures, jusqu'au 28 juillet (relâche le 24). De 13 € à 27 €.
Durée : 1 h 20. En arabe surtitré.
Puis tournée en France et en Belgique de décembre 2009 à mars 2010 (du 16 au 20 février 2010 au Parc de La Villette, à Paris).


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