Von Jérôme Provençal
16.01.2016 / Les inRocks
Avec “Adolf Hitler : Mein Kampf, vol. 1& 2”, le collectif berlinois Rimini Protokoll livre une pièce captivante à la dynamique dialectique et ludique, en écho à la réédition officielle du brûlot nazi.
En activité depuis le début des années 2000, Rimini Protokoll pratique un théâtre résolument en prise avec son temps, sollicitant souvent une participation active du public – souvenons-nous, par exemple, de Situation Rooms, pièce au dispositif interactif sophistiqué entraînant les spectateurs (20 par représentation) dans les méandres de l’industrie de l’armement.
Après avoir bâti un spectacle sur Le Capital de Marx il y a quelques années, le collectif berlinois à géométrie variable s’empare maintenant de Mein Kampf, au moment même où le pamphlet d’Adolf Hitler, dont les droits viennent de tomber dans le domaine public, fait pour la première fois l’objet d’une réédition officielle, inévitablement polémique.
Publié à des millions d’exemplaires entre 1925 et 1945, maintes fois réédité clandestinement depuis, dans de nombreuses langues (y compris en braille), le bréviaire du nazisme n’a pourtant jamais cessé de circuler sous le manteau (noir) – Internet ayant encore facilité et accentué sa diffusion. Intitulée tout simplement Adolf Hitler : Mein Kampf, vol. 1 & 2 et conçue par Helgard Haug et Daniel Wetzel (deux des fondateurs du Rimini Protokoll, le troisième étant Stefan Kaegi), la pièce ne se focalise pas sur la réédition officielle mais s’interroge – et nous amène à nous interroger – sur la durable postérité de ce sinistre ouvrage, en embrassant des problématiques très contemporaines telles que celles de l’immigration et de la liberté d’expression.
Un traitement subtil malgré la gravité du sujet
Si le sujet est grave et plutôt casse-gueule, le traitement qu’en propose Rimini Protokoll se distingue par sa subtilité empreinte de légèreté, prouvant après Lubitsch et Chaplin (entre autres) qu’il est possible d’affronter Hitler et ce qu’il représente avec humour.
Sur le plateau, encadré par de hauts rayonnages emplis d’exemplaires très variés de Mein Kampf (y compris une version manga !), six protagonistes – deux femmes et quatre hommes, dont un aveugle, aucun n’étant comédien professionnel, mais tous ayant une belle présence scénique, en particulier le rappeur berlinois d’origine turque Volkan Türeli – jonglent avec les livres et les mots autant qu’avec les idées, chacun d’entre eux confrontant son vécu et ses points de vue avec ceux des autres sur un mode à la fois dialectique et ludique.
Très enlevée et marquée par un usage ingénieux de la vidéo et du son, la pièce ne souffre d’aucune longueur malgré sa durée (2h15) et demeure captivante du début à la fin, aussi abrupte qu’émouvante.