Von Olivia Barron
21.05.2014 / Le monde
C’est une fascinante immersion dans le monde des armes. A la grande halle de la Villette, le collectif de théâtre berlinois Rimini Protokoll présente jusqu’au 25 Mai Situation Rooms, une plongée dans le monde des armes et de la guerre. Fruit d’une recherche documentaire longue de trois ans, Situation rooms est un jeu de rôles haletant pour une poignée de spectateurs devenant tour à tour reporters de guerre, militaires, militants d’ONG, médecins ou trafiquants. Une expérience unique, mêlant fiction et réalité.
Muni d’un casque audio et d’une tablette, chaque spectateur de Situation Rooms entre par une porte différente dans l’installation. Le suspense est réel, la curiosité palpable chez les vingt spectateurs. Sur l’écran de la tablette apparaît le chemin à suivre dans ce labyrinthe sinueux où vous avancez à tâtons, guidé par la voix d’un personnage. Car à peine entré dans la structure, vous endossez le rôle d’un avatar, parcourez les lieux qu’il traverse, adoptez ses gestes, utilisez ses armes. C’est une suite d’espaces hétéroclites, d’escaliers, de bureaux, de salles d’opération improvisées dans une tente, de postes d’entrainement au tir. Successivement, vous devenez soldat israélien, grand reporter de guerre, hacker, avocat des victimes d’une attaque de drones. Vous glissez dans la peau d’un autre, passant d’Abou Dabi à Gaza en quelques minutes. Point de distance ni de répit dans Situation Rooms, le spectateur est plongé au cœur de l’action, à la fois témoin et acteur de l’industrie de l’armement mondial. Il faut agir vite, enfiler son gilet pare-balles, apprendre la position de tir au sol, avant d’amputer un blessé de guerre ! Le rythme s’inspire du tempo ultra-rapide des jeux vidéo. Certains spectateurs, totalement égarés, se perdent même dans la structure. L’expérience, immersive, perturbe les repères, brouille les perceptions. Eprouvante, elle réveille les sens, désormais en alerte.
Mais la finesse de Situation rooms, au-delà de l’originalité du dispositif, réside dans le choix d’extraits sonores percutants, ceux des témoignages diffusés via les casques. Ils livrent des fragments d’histoires vécues, des souvenirs de guerre, sans aucun manichéisme. Comme ce jeune soldat israélien qui ne sait même plus pourquoi il fait la guerre, pétrifié après soixante-douze heures passées au sol à attendre l’ennemi, presque devenu un cadavre. Troublé par le bourdonnement incessant des mouches, il finit par être envahi d’un doute abyssal. Là où le dispositif pourrait s’enfermer dans une forme séduisante et spectaculaire, le récit, complexe et puissant, donne tout son sens à la structure. Et comme le collectif Rimini Protokoll s’abstient de porter tout jugement, l’absurdité des situations n’en est que plus frappante. Choc cathartique oblige, on navigue en enfer, celui d’un monde où des hommes lancent des roquettes comme on jouerait à un jeu vidéo, où des soldats dansent la Macarena avant de tuer. Une mascarade mondiale que Rimini Protokoll fusille avec fureur.