Von Hadrien Volle
31.05.2019 / sceneweb.fr
Avant sa venue à Avignon puis à Paris, Montréal reçoit dans le cadre du Festival TransAmériques le nouveau spectacle conduit par Stefan Kaegi (Rimini Protokoll) : Granma, Trombones de la Havane. Un théâtre-documentaire passionnant, mais qui finit par se confronter aux limites de la forme qu’il s’impose.
Granma, c’est le nom du bateau qui a emmené Fidel Castro, Ernesto Guevarra et le noyau de la future révolution cubaine du Mexique à Cuba en 1956.
Granma, c’est aussi le nom du journal du Parti communiste cubain, qui paraît quotidiennement sur l’île depuis 1965. Enfin, Granma (ou Granpa) c’est les personnages qu’incarnent les quatre jeunes cubains sur scène : ils jouent leurs grands-parents, proclament leurs rêves, avant de s’en défaire pour parler à leur tour, des désirs qu’ils nourrissent pour demain.
L’enjeu de ce spectacle, pour Rimini Protokoll, est de faire le point sur une utopie.
Laisser la parole aux cubains en cette période de profonds changements, caractérisés par la mort de Fidel Castro et la visite de Barack Obama. Le matériau de départ est résolument social et ne déroge en rien aux habitudes du Rimini Protokoll : mettre sur scène les premiers concernés par l’histoire racontée.
Ainsi, du public, on vit une leçon d’histoire cubaine alternative : racontée par ceux qui la vivent. Révolution cubaine, les échecs, les luttes, la guérilla, les grands moments de celle-ci qui ont conduit à la victoire et l’après… C’est un cours d’histoire vivant, où l’on apprend beaucoup. Certainement plus qu’en allant faire du tourisme à Cuba car, comme l’expliquent les personnages sur scène, vidéo à l’appui, celui-ci modifie profondément le mode de vie des cubains et creuse les inégalités.
Dans la première partie du spectacle, on peut être gêné d’entendre tant de bien du régime castriste tant les bienfaits de celui-ci sont mis en lumière par ceux qui en sont les héritiers. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’il manque la parole des absents.
Cependant, les nuances apparaissent au fil du spectacle, puisque la pensée se transforme : de celle des grands-parents qui vivaient le rêve socialiste sans réserve, les jeunes font connaître leur opinion sur celle-ci et ils en sont revenus, un peu. Car parfois ils parlent de la dérive du régime et, notamment, de l’enfermement des homosexuels, mais ils nuancent : « je ne sais pas si ma grand-mère était au courant ». Ils sont aussi conscients des enjeux géopolitiques et comment Cuba a été un pion de l’URSS, avant de devenir celui des chinois en échange de ventilateurs bon marchés…
On est pris dans cette histoire fascinante, pleine de détails, on revit la construction et la déconstruction de ce monde. Mais la forme théâtrale trouve assez vite ses limites.
Ceux qui sont sur scène sont eux-mêmes et ils parlent de leur vie. Quelques passages forts cassent la monotonie formelle du discours. L’association avec la vidéo, notamment. Mais ce sont surtout les trombones qui prennent toute leur importance à la lumière de certaines scènes. Ils sont le « son » du rêve, ils sont le prolongement des personnages, l’expression physique de leur volonté de pousser plus loin. Les émotions naissent principalement de leur musique, non pas des histoires vraies.
Alors qu’est-ce qu’on retient de cet autre futur possible, du rêve de ces personnages ? Ils invectivent les Occidentaux, taquinent les Québécois (comme ils le feront probablement avec les Français dès juillet). C’est formidable de les voir défendre un rêve qui n’est plus celui de leurs grands-parents, mais qui n’est pas celui non plus de la société capitaliste et ses « supermarchés avec des milliers de marques de shampoing ». Pour l’instant, ils nous exposent à une désillusion honnête : pour la suite, c’est leur vie qui le dira.