Von Thérèse-Marie Deffontaines
09.10.2004 / Le monde
"HOMO SABÉNIEN"
La vraie révélation est venue de Sabenation, étonnante entreprise de théâtre du réel mise en œuvre par la compagnie allemande Rimini Protokoll, avec des licenciés de la compagnie aérienne belge Sabena qui a fermé ses portes en novembre 2001. Après avoir rencontré cent vingt employés, soit 10 % du personnel de Sabena, Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel en ont sélectionné six. Six non-acteurs qui disent avec force et émotion leur identité d'"Homo sabénien", le sentiment toujours vivace d'appartenance à une collectivité, la fierté du métier. Et la perte. Sabenation devait être joué dans trois langues (néerlandais, anglais et français) mais les "Sabéniens" ont préféré le donner presque intégralement en français, "pour être compris" du public.
La langue invitée est une idée de Patrick Le Mauff, directeur du festival depuis 2000. Pas question pour lui de perdre du temps à regretter que le français ne soit pas à la première place. "Ce qu'il faut défendre, c'est la diversité. Pour moi, défendre d'autres langues, c'est aussi défendre le français. C'est important de faire entendre une langue qu'on ne comprend pas." En 2005, ce sera le roumain.
(prise de l’article suivant:)
FESTIVAL
Le réel et sa représentation au programme des Francophonies en Limousin
Le festival de créations métissées en théâtre et danse est imprégné des désillusions de l'Afrique.
Limoges de nos envoyés spéciaux
Vingt ans après sa création par Pierre Debauche, alors directeur du Centre dramatique national de Limoges, le festival des Francophonies continue de refléter les mouvements du monde. Très marqué à ses débuts par les luttes pour l'indépendance et l'utopie panafricaine, il s'est ensuite imprégné des désillusions du continent noir - violences, corruption et démission des élites. Parallèlement s'est développée une pratique de coopération théâtrale, d'abord Nord-Sud, puis de plus en plus diversifiée.
Les 21es Francophonies en Limousin offrent plusieurs exemples de cette création métissée. Adaptée de la tragédie de Sophocle par le metteur en scène Gilles Laubert (avec Massemba Gueye pour la version wolof du chœur) et interprétée par des comédiens et griots sénégalais, Ngoye, une Antigone d'Afrique est une coproduction réunissant Suisse, Sénégal et France. Si la transposition dans la société africaine de l'antagonisme Antigone-Créon - opposition homme-femme autant que pouvoir-individu - sonne juste et fort, on est moins convaincu par les références à la mythologie sérère du Sénégal.
La troupe de Ngoye, une Antigone d'Afrique a bien failli ne pas pouvoir jouer à Limoges. Ces quatorze acteurs appartenant au Théâtre national Daniel-Sorano et à d'autres troupes de Dakar ont déjà fait plusieurs allers-retours entre l'Europe et l'Afrique. Ils avaient accepté de remettre leurs passeports au metteur en scène dès leur arrivée et ils ne devaient recevoir leur salaire qu'une fois rentrés au pays. Cet engagement n'a pas suffi : quatre personnes se sont vu refuser le visa. Sans l'énergie et la volonté de jouer des comédiens sénégalais et sans le renfort de deux acteurs vivant en Europe, les représentations auraient été annulées.
L'Œil du cyclone, de Luis Marquès (de la compagnie ivoirienne Ymako Teatri), est né dans le cadre des Récréâtrales de Ouagadougou (Burkina Faso) mises en place par Etienne Minougou pour favoriser la création africaine.
Huis clos entre un prisonnier, accusé des pires atrocités lors d'un conflit chaotique et sanglant, et l'avocate commise d'office pour le défendre, L'Œil du cyclone renvoie à la problématique des enfants soldats. A ceci près que ces enfants sont aujourd'hui des adultes de 25 à 30 ans qui n'ont connu que la guerre depuis leur plus jeune âge. "Est-ce qu'il reste en eux une part d'humanité ? Sont-ils coupables ou victimes ?", s'interroge Luis Marquès.
Autre création transculturelle, dans le domaine de la danse cette fois : Le Sacre du printemps, musique de Stravinsky et chorégraphie de Heddy Maalem, né à Batna (Algérie) d'un père algérien et d'une mère française. Une ouverture fulgurante - Adam et Eve au premier matin du monde - et l'énergie, la puissance de quatorze danseurs du Mali, du Bénin, du Nigeria, du Sénégal et de la Guadeloupe.
"HOMO SABÉNIEN"
La vraie révélation est venue de Sabenation, étonnante entreprise de théâtre du réel mise en œuvre par la compagnie allemande Rimini Protokoll, avec des licenciés de la compagnie aérienne belge Sabena qui a fermé ses portes en novembre 2001. Après avoir rencontré cent vingt employés, soit 10 % du personnel de Sabena, Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel en ont sélectionné six. Six non-acteurs qui disent avec force et émotion leur identité d'"Homo sabénien", le sentiment toujours vivace d'appartenance à une collectivité, la fierté du métier. Et la perte. Sabenation devait être joué dans trois langues (néerlandais, anglais et français) mais les "Sabéniens" ont préféré le donner presque intégralement en français, "pour être compris" du public.
La langue invitée est une idée de Patrick Le Mauff, directeur du festival depuis 2000. Pas question pour lui de perdre du temps à regretter que le français ne soit pas à la première place. "Ce qu'il faut défendre, c'est la diversité. Pour moi, défendre d'autres langues, c'est aussi défendre le français. C'est important de faire entendre une langue qu'on ne comprend pas." En 2005, ce sera le roumain.
Georges Chatain et Thérèse-Marie Deffontaines
Jusqu'au 10 octobre. Carte blanche à l'Ensemble Leporello et Rencontres de La Villette hors les murs.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.10.04
http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-382265,0.html