Von Eduardo Malpica Ramos
29.05.2019 / www.linitiative.ca
Granma, c’est le nom du bateau avec lequel les « Barbudos » dirigés par Fidel Castro ont débarqué à l’île de Cuba pour renverser la dictature de Batista, le 1 janvier 1959. Soixante ans se sont écoulés depuis ce jour « glorieux » de l’histoire cubaine. Des 82 guérilleros qui se sont embarqués, il n’en restait que 22 le lendemain. Tous sont devenus soit des héros, soit des martyrs de la révolution. Mais selon Milagro Alvarez Leliebre, interprète de la pièce et historienne de formation, cette façon d’aborder l’histoire éclipse un fait capital : « l’histoire n’est pas faite par des individus, mais plutôt par des gens organisés politiquement et socialement. »
Ainsi, Granmna. Les Trombones de La Havane, nous invite à revisiter cette histoire au moyen de quatre récits appartenant à des jeunes gens, les petits-enfants des révolutionnaires, leurs grands-parents. Le résultat : un portrait nuancé de la révolution cubaine. Effectivement, la subjectivité de ces quatre récits, constitue une bonne dose de critique pertinente qui est nécessaire à l’heure où ont lieu des réformes importantes au pays. Cela permet également de décentrer un récit révolutionnaire aussi mythique que monolithique.
Appartenant à des horizons divers, les interprètes ne sont pas des acteurs professionnels ni des musiciens. Et pourtant les trombones nous accompagnent avec des mélodies tantôt martiales, tantôt festives. Christian, 26, ingénieur informatique, Diana, 32, musicienne, Daniel, 35, réalisateur de films d’animation, et Milagro, 24, historienne, se sont réunis au Monument National hier soir pour nous raconter leur vision des choses à propos d’un pays qui est devenu légendaire pour plusieurs dans le monde. Ils se servent de l’histoire de leurs grands-parents pour déboulonner certains mythes et surtout pour nous montrer ce que pensent aujourd’hui les héritiers de cette révolution. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain? Ou encore, Cuba a-t-il besoin d’un autre « Granma » débarquant sur ses rives?
Le théâtre documentaire est une démarche qui a précisément pour but de poser des questions sur un sujet souvent controversé. Stefan Kaegi met de cette manière le débat de l’avant. La richesse et la variété des récits y contribuent fortement. Derrière ces jeunes, il y a Rufino, militaire et gardien des « secrets » de la Révolution et Nicolas, chanteur bohème qui nous replonge dans les luttes anticoloniales en Afrique des années soixante. Également, on a Faustino, admirateur de José Martí, héros cubain, et ex-ministre de la Révolution et Nidia, couturière, qui, à ses 16 ans, militait déjà pour mettre fin à la dictature de Batista. Dans ce contexte, on est invité à plusieurs dialogues. Il y a bien évidemment un dialogue intergénérationnel, mais aussi on en a un culturel. Un fossé idéologique sépare certainement ces deux générations. Le monde a en effet radicalement changé depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Par ailleurs, les interprètes interpellent également les spectateurs. Ils font des références à l’histoire du Québec et nous posent des questions quant à nos privilèges au sein d’une société capitaliste.
Enfin, les temps ont beaucoup changé, disions-nous, mais dans la pièce, on laisse entendre que les choses n’ont pas beaucoup évolué à Cuba depuis au moins 30 ans. En effet, si la pièce se concentre davantage sur les premières trois décennies de la révolution, peu de temps et de questionnement est consacré à Cuba post 1989. Il y a là un point faible qui mérite d’être remédié.
Le socialisme à Cuba a accompli de grands changements en faveur du bien-être des gens. Certains ont été irréversibles, par exemple, l’accès à une éducation publique et gratuite dont ces jeunes sont très fiers. Cependant, il y a d’autres points où elle a failli. Le droit à la liberté d’expression reste toujours une revendication inscrite à l’agenda. La lutte contre le racisme en est une autre. Ayant grandi au milieu de ces tensions, Christian, Diana, Daniel et Milagro nous offrent de manière intelligente et ludique des pistes de réflexion pour continuer à avancer petit à petit dans le lieu de l’utopie d’une société égalitaire.