Et roule Rimini Protokoll

«Cargo Sofia-Avignon», pièce à bord d'un camion.

Von René Solis

22.06.2006 / Libération

Le camion bulgare est garé devant la poste, près de l'arrêt des navettes pour la gare TGV. Par un petit escalier, on grimpe dans la remorque, entièrement vitrée d'un côté, et on s'installe sur l'une des trois rangées disposées dans le sens de la longueur. Avant le départ, les deux chauffeurs viennent inspecter leur cargaison de passagers. L'un ne parle que le bulgare, mais dispose d'une interprète. Le second s'exprime en anglais basique. Ils rejoignent la cabine et c'est parti pour un trajet au long cours : un Sofia-Avignon, via la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l'Autriche, l'Allemagne, la Suisse et l'Italie. Un grand écran vient boucher la fenêtre. Sur les images défilent des rues de Sofia, puis des vues de la campagne bulgare. Mais elles laissent vite la place à un montage documentaire qui raconte l'irrésistible ascension de Willi Betz, l'empereur du transport routier européen, qui a bâti sa fortune sur le commerce avec l'Europe de l'Est et le Proche-Orient et sur le dumping social.

 

On se croit embringué dans un voyage au coeur de la magouille, quand soudain, changement de direction : l'écran se relève et l'on se retrouve pour de bon à quelques kilomètres d'Avignon, sur le parking du marché de gros de Chateaurenard, où un négociant muni d'un micro hf explique le circuit des fruits et légumes qui transitent par là. Le camion redémarre et l'un des chauffeurs raconte l'art de passer les frontières. On l'écoute quand l'attention est accaparée par une chanteuse plantée au milieu d'un rond-point, qui entonne un air audible par les seuls occupants du camion. On tourne ainsi pendant deux heures autour d'Avignon, rencontrant au passage un transporteur local, retrouvant la chanteuse cachée derrière un buisson, repartant en Allemagne du côté du négrier Betz, entre deux anecdotes des chauffeurs (la douche, le péage, les prostituées, la femme et les enfants qui attendent à Sofia...).

Le metteur en scène suisse Stefan Kaegi et sa compagnie Rimini Protokoll ont le chic pour raconter des histoires en multipliant les points de vue. Après Mnemopark, où ils proposaient un voyage en train miniature, ce Cargo Sofia-Avignon a les limites de son foisonnement : il ouvre plein de pistes, sans s'y arrêter.


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Cargo Sofia-X